Article publié sur Marx21 en espagnol et catalan le 22 décembre et sur Socialiste Révolutionnaire le 25 décembre.
Le résultat global des élections au parlement catalan est que les partis indépendantistes ont conservé une majorité parlementaire.
Cela en dépit de la suspension des institutions démocratiques catalanes en vertu de l’article 155 de la constitution espagnole et avec plusieurs dirigeants politiques en prison et d’autres menacés de procès politiques.
Le parti populaire de droite (PP) du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, qui a mené cette répression – avec le soutien actif du PSOE, et des populistes espagnols de droite de Ciudadanos – a perdu plus de la moitié de sa force électorale qui était déjà assez basse. Il n’a obtenu que 4% des voix et n’a plus que trois députés.
Mais il y a d’autres aspects négatifs.
Le parti des Citoyens (Ciudadanos) a remporté le plus grand nombre de voix de tous les partis. Il a particulièrement bien réussi dans les quartiers populaires hispanophones de Barcelone qui votaient pour le parti communiste ou, plus récemment, pour les socialistes.
Il a également remporté les votes des partisans du PP qui le considéraient comme la meilleure option pour s’opposer à l’indépendance.
Quand ils avaient commencé, les Citoyens s’étaient présentés comme un parti de centre gauche, opposé à l’indépendance et fidèle à l’Espagne. Cette position de centre gauche est maintenant disparue en faveur d’un néolibéralisme pur et simple, mais son nationalisme espagnol est plus présent que jamais. Cela leur a valu le soutien de José María Aznar et aussi celui de certains fascistes. Ainsi certains à gauche les qualifient à tort de fascistes. Comme ils sont des populistes de droite et espagnolistes, il s’agit sans aucun doute d’un milieu dans lequel l’extrême droite peut opérer.
Equidistants
Le parti lié à Podemos, Catalunya en Comu, connu sous le nom « Communes » a fait de mauvais résultats. En 2015, la coalition précédente, Catalunya Sí Que Es Pot, a remporté 11 sièges. Depuis lors, un processus complexe de fusions qui inclut maintenant le groupe d’Ada Colau a donné naissance à Catalonia En Comú, qui est en théorie un parti plus large. Mais au lieu de croître, ils sont tombés à 8 sièges. La principale raison de cette chute est, sans aucun doute, leur refus de prendre position sur l’indépendance. Certains de ses membres sont en faveur de l’indépendance, d’autres contre, alors que beaucoup préfèrent ne pas discuter de la question.
Mais devant le coup anti-démocratique de l’article 155, vous ne pouvez pas dire que vous ête ni pour la déclaration d’indépendance ni pour l’article 155, comme si ces deux choses étaient tout aussi mauvaises.
Le problème avec les Communes n’est pas qu’ils ne sont pas des indépendantistes ; Le problème est que dans la pratique ils ne prennent pas une position claire contre le nationalisme espagnol et pour le droit de décider. Albano Dante-Fachin, l’ancien leader de Podem Catalunya, a pris cette position et a été effectivement expulsé lorsque la direction de Podemos à Madrid a appliqué son propre article 155.
En tout cas et avec ce manque d’engagement, les communes sont considérées comme trop catalanes pour le peuple espagnol, et trop constitutionnelles pour les peuples indépendantistes.
En plus de la bataille entre l’indépendance et le nationalisme espagnol, il y a la bataille entre les partis pro-indépendantistes.
Lutte pour l’indépendance
Le parti d’indépendance le plus voté était le Junts Per Catalunya(Ensemble pour la Catalogne), du président catalan Carles Puigdemont, avec une liste composée principalement avec des indépendants comme Jordi Sánchez, ancien président de la ANC. En réalité JxCat est un changement de nom de la Convergencia(Convergence), le vieux parti de Jordi Pujol, impliqué dans des années de coupures, de privatisations et de corruption.
On s’attendait à ce que la ERC (Gauche Républicaine Catalane) dépasse JxCat mais cela ne s’est pas produit. Peut-être parce que beaucoup de gens indépendantistes pensaient que la tâche actuelle était de défendre la république déclarée le 27 octobre, dont le président est Puigdemont.
Cela ne tient pas compte du fait que le gouvernement de Puigdemont n’a pas seulement subi la répression, il a aussi refusé efficacement de lutter contre cette répression.
La république n’existe pas vraiment, elle doit encore être construite et le parti de Puigdemont a déjà montré qu’il préfère éviter les batailles qui seront sans doute nécessaires pour y réussir. Cependant, le soutien personnel à Puigdemont et les illusions dans une république déjà existante ont fait que de nombreux votes de l’ERC et même de la CUP se sont dirigés vers le JxCat.
Il faut noter que l’ERC a mené une campagne de gauche, avec des appels à la mobilisation, en faveur de la justice sociale, des droits des femmes, contre l’homophobie et le racisme. Najat Driouech, numéro dix de l’ERC à Barcelone, sera la première femme élue à porter le voile dans la Parlement ; Un autre nouveau député de l’ERC sera Ruben Wagensberg, organisateur clé de la grande manifestation en faveur des réfugiés en février dernier.
Les CUP-Appel Constituant
Enfin, les Candidatures de l’Unité Populaire – Appel Constituent (CUP-CC) sont passées de 10 à 4 sièges. Encore une fois, cela est dû à des différentes raisons. Le facteur Puigdemont a déjà été mentionné. De plus, l’excellente performance des CUP en 2015 a été en partie le résultat du fait que de beaucoup de gens qui auraient voté pour l’ERC, ont finalement soutenu les CUP pour protester contre la coalition de l’ERC avec la Convergence.
Mais la perte de sièges est également due au fait que les CUP n’ont pas réussi à maintenir leur profil comme force anticapitaliste indépendante. Les CUP sont restés fermes sur de nombreuses questions clés, mais beaucoup de gens, en particulier dans les quartiers populaires, les considéraient comme faisant partie du bloc nationaliste catalan, plutôt que comme une force enracinée dans la classe ouvrière qui soutient en même temps l’indépendance. Le problème est que cette perception est partiellement correcte.
Cela dit, une candidature clairement anticapitaliste qui remporte 4,5% des voix et 4 sièges n’est pas une mince affaire. Malgré leurs contradictions, les CUP sont une force de gauche très importante dans les mouvements sociaux et dans les Comités pour la défense de la République (CDR). Au-delà de la poursuite – avec moins de force – de son travail au Parlement, les CUP peuvent et doivent jouer un rôle clé dans la construction des luttes dans les rues et – peut-être sa tâche la plus importante – sur les lieux de travail.
D’ailleurs Rajoy a déjà dit que même si les partis indépendantistes ont obtenu la majorité, cela ne leur permettra pas d’appliquer les programmes pour lesquels les gens ont voté pour eux.
La lutte d’en bas
Il faut maintenant voir si JxCat et ERC continueront à lutter pour l’indépendance. Mais dans tous les cas, il est clair que leur plan précédent, visant à rompre avec l’État espagnol et à entamer le processus constitutif de la création d’une Catalogne nouvelle et différente ne peut être atteint comme une mesure administrative convenue avec Madrid. Des luttes d’en bas seront nécessaires.
En cela, les CDR et les autres espaces des mouvements et d’organisation d’en bas, basés essentiellement sur la classe ouvrière, seront essentiels. La politique de classe et l’internationalisme, non pas comme une excuse pour ne pas parler d’indépendance, mais comme un élément clé de la lutte pour l’indépendance, devront être renforcés.
Ce n’est pas une bataille que la gauche internationale peut se permettre d’observer et de commenter de l’extérieur. Le vrai défi de la gauche internationaliste vis-à-vis de la Catalogne est de construire une solidarité avec notre lutte et aussi de lutter contre leurs propres gouvernements. Les problèmes auxquels nous sommes confrontés – le néolibéralisme, la répression, le fait que nous ne pouvons pas contrôler nos propres vies – existent partout.
La lutte pour le droit de la Catalogne à décider de son avenir n’est pas une question nationaliste étroite, elle fait aujourd’hui partie de la lutte internationale pour un monde différent.
Par David Karvala