Catalogne. Puigdemont bientôt réélu président … et emprisonné ?

Article publié sur le blog Clarté à gauche pour (com)battre la droite et l’extrême droite le 28 janvier 2018.

L’imbroglio politico-judiciaire est servi

Les choses s’accélèrent en Catalogne. L’option de l’investiture « télématique » (par vidéotransmission depuis son exil belge) de Puigdemont comme Président de la Généralité, vient d’être déclarée irrecevable par le Tribunal Constitutionnel qui, en revanche l’autorise à prétendre à une investiture en se présentant physiquement, mardi, devant les parlementaires. Donc à s’exposer à être arrêté…

Pour s’y retrouver…

Les choses s’accélèrent en Catalogne. Tout se joue, dans l’immédiat au Parlament (le parlement catalan) : la séance d’investiture du nouveau président de la Généralité, sur la base du nouveau rapport de force sorti des urnes le 21 décembre dernier, se tiendra mardi et les indépendantistes ont la main, quoique… En effet, le seul candidat à ce poste est le précédent President, Carles Puigdemont, puisque sa liste est passée devant les autres listes indépendantistes. Or, comme il est de notoriété publique, il est exilé en Belgique pour échapper au mandat d’arrêt délivré à son encontre pour sédition. L’option de son investiture « télématique » (par vidéotransmission) vient d’être déclarée irrecevable par le Tribunal Constitutionnel qui, en revanche, l’autorise à prétendre (avec l’accord du juge !) à une investiture en se présentant physiquement devant les parlementaires. Donc à s’exposer à être arrêté, sinon avant ladite investiture, ce qui créerait pour le moins un porte-à-faux avec la décision du TC, en toute probabilité après ! Avec la variante d’une arrestation avant sa … comparution au Parlament, sanctionnée par un retour en prison après !

Il y a du pari et de la prise de risques assez fous des protagonistes de premier plan dans un tel imbroglio : Puigdemont président est une épine dans le pied du gouvernement de Madrid. Auréolé d’une légitimité incontestable grâce au résultat électoral du 21 décembre, il deviendrait, en cas d’arrestation, le symbole, enfin lisible à plus large échelle, de l’anomalie démocratique, pourtant patente depuis au moins le référendum du 1er octobre, de l’Espagne monarchico-corrompue d’un Rajoy macérant, lui, dans l’impunité absolue… Digérable par une Union Européenne capable du pire mais sans que le coût politique soit trop élevé ? Pas sûr, d’autant qu’une telle situation mêlant grossièrement l’arbitraire contre les uns à l’arbitraire en faveur des autres, pourrait relancer l’explosivité de la question catalane et, cette fois, produire une onde de choc au-delà de la Catalogne et même des frontières de l’Etat espagnol… Bien que l’on ne puisse rien exclure dans la « loufoquerie hispanique » qui s’étale au grand jour, le gouvernement de Madrid cherchera-t-il à couper la poire en deux en laissant Puigdemont provisoirement libre de ses mouvements quitte à accélérer la procédure judiciaire pour, à moyen terme, mettre en avant de nouvelles charges « justifiant » de le placer, mais à froid, en détention ? Ce scénario paraît peu probable, malgré les gains politiques unionistes escomptés par le PP, à l’extérieur d’une Catalogne considérée comme irrémédiablement perdue, d’une politique de l’affrontement ouvert avec « l’hydre indépendantiste » : c’est en effet son rival de droite, Ciudadanos qui s’annonce tirer les marrons du feu, tant en Catalogne que dans le reste du pays, de cet autoritarisme à résonances franquistes à l’oeuvre ! La politique du pire reste donc la tentation d’un gouvernement plus aux abois qu’il n’y paraît à l’heure où les affaires de corruption, en particulier du côté du PP valencien, jusqu’à il y a peu emblématique de sa réussite politique insolente, l’éclaboussent comme jamais.

Le risque est grand, dans une partie de la gauche révolutionnaire, surtout à l’extérieur de l’Etat espagnol, désarçonnée par une radicalisation de la question nationale catalane qu’elle cerne souvent à contresens, de se laisser abuser par  ce qui se donne à voir comme un jeu institutionnel, donc a priori un jeu de dupes : Puigdemont President ? Emprisonné ? Pfff, les masses populaires doivent rester à distance et oeuvrer à construire l’indépendance … mais de classe ! Or, y compris dans des secteurs populaires non-indépendantistes, comme l’ont montré tant le référendum du 1er octobre, que la grève générale du 3 octobre et encore l’élection du 21 décembre (1), le déni démocratique qui est fait à l’indépendantisme est perçu comme un coup à double détente du régime honni de 1978 qui, attaquant le catalanisme, cherche à se renforcer au détriment de TOUTES les couches populaires, qu’elles soient indépendantistes ou pas ! C’est la raison pour laquelle, sans certes une implication en continu dans la mobilisation nationale, largement redevable aux insuffisances politiques de l’indépendantisme majoritaire, il y a un matériau inflammable latent dans des couches populaires non-indépendantistes qui pourraient se remettre en mouvement si Puigdemont payait sa reconduction en tant que President de se retrouver derrière les barreaux, avec l’insupportable satisfaction, étalée dans tous les médias, des salauds d’en face !

Il revient aux anticapitalistes, malgré un affaiblissement électoral de la CUP qui pourrait bien n’être que conjoncturel, de trouver la formule appelant à mobiliser pour la libération éventuelle de Puigdemont (comme des autres prisonniers politiques), pour la cessation des poursuites judiciaires, tout en avançant ce qui manque encore trop au combat indépendantiste : la mise au premier plan, aux côtés (pas à la place) de la revendication d’indépendance, légitimée le 1er octobre, des revendications sociales. Dans la compréhension qu’actuellement l’indépendantisme catalan est LE levier politique majeur pour affaiblir le régime; et que la rue peut très vite devenir le centre de gravité de cette rencontre décisive du social et du national par où le national approfondirait une logique sociale qui s’est déjà concrétisée par toutes ces lois sur la pauvreté énérgétique, la lutte contre la dette des ménages, les droits des migrants, votées au Parlament, à majorité indépendantiste, et cassées par la justice aux ordres de Madrid (2).

Une chose devrait être évidente chez tous/toutes les anticapitalistes (et, bien sûr, plus largement) : laisser défaire cette mobilisation sur les droits démocratiques de la Catalogne, c’est donner du rapport de force à Rajoy et, de fait, à sa relève macronisée XXL, à forte composante lepénisante, Ciudadanos ! La défense de la nécessité d’introniser President un Puigdement libre de ses mouvements et libéré de toute imputation judiciaire ne doit pas être l’écran qui masque, dans la mobilisation nationale, les potentialités sociales que seule la gauche anticapitaliste peut aider à se concrétiser en une dynamique…débordant radicalement le cas et la personne de Puigdemont pour cibler méchamment Rajoy, le Roi, l’élite capitaliste, catalane comprise, qui fait corps avec eux. Et pour faire la jonction, ce chaînon manquant actuellement, c’est peu de le relever, avec des mobilisations populaires dans le reste du pays qui pourraient trouver un encouragement dans cette rencontre inédite entre la lutte contre l’austérité capitaliste et contre toutes les mesures liberticides, exacerbées en Catalogne, mais mises en oeuvre partout par le régime !

Antoine

(1) Catalunya. Mobilisation populaire contre mobilisation policière et judiciaire

Catalogne. Retour sur une grève générale comme on n’en a pas connu depuis longtemps ! 

En Catalogne, l’indépendantisme progresse dans les zones populaires

(2) Il s’agit de

  • la loi sur la pauvreté énergique visant à garantir l’accès à l’eau, l’électricité et le gaz,
  • l’interdiction des expulsions de leur logement des familles vivant en dessous de 900 € par mois
  • des réductions de dette pour celles comprises entre 900 et 1 200 € par mois,
  • la loi sur l’accueil, la formation et l’intégration des migrantEs,
  • la loi sur le changement climatique,
  • celle sur l’imposition des profits des entreprises du nucléaire

(ceci, parmi les 47 lois votées par le Parlament catalan entre 2012 et jusqu’à sa dissolution fin 2017, celles qui ont été cassées par le Tribunal Constitutionnel espagnol, autant dire Rajoy, au nom de la « disparité de traitement entre résidents de Catalogne et résidents du reste de l’Etat ».). Toutes ces lois sociales, souvent promulguées sous la pression d’une CUP exerçant son pouvoir de faire ou de défaire le front indépendantiste, étaient applicables à tous les résidents en Catalogne qu’ils soient venus d’Andalousie ou de Dakar. Ceux et celles qui cassent le niveau de vie des Andalous, des Catalans, etc, et soumettent à des conditions de vie atroce les migrants, sont les espagnolistes de Madrid et d’ailleurs, la bande des fans du Roi et des grandes entreprises espagnoles et catalanes qui les appuient. Ce qui, au passage, démontre que le procès en racisme identitaire qui est fait par certain-es aux indépendantistes ne résiste pas aux faits : ces lois sont des réalités, leur invalidation aussi.

 

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