Sergi López : « L’indépendance de la Catalogne est la seule façon d’obtenir une démocratie stable et mûre »

Article publié dans Le Journal du Dimanche le 9 mars 2018

Le Catalan préféré des Français, l’inquiétant « ami que vous veut du bien », Sergi López, qui a tourné en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis (Harry, un ami qui vous veut du bienPartirDirty Pretty ThingsLe Labyrinthe de Pan…) était de passage à Paris. Il n’est pas venu pour le lancement de la nouvelle série de Canal+, dans laquelle il fait une apparition, Nox, mais pour défendre une cause qui lui tient à cœur, la Catalogne. Avec l’ancien député indépendantiste Quim Arrufat, un vieil ami né aussi dans sa ville de Vilanova i la Geltrú, il a participé, mercredi 7 mars, à un débat à la Bourse de travail de Paris sur le thème « Ils sont fous, ces Catalans? Rêver d’une République ».

Les Catalans sont des adultes et ils peuvent prendre leurs affaires en main

On vous attendait dans la promotion de votre dernier rôle, vous voici en défenseur de la République catalane.
Je suis là pour apporter un peu de lumière sur cette question si mal comprise en France. Ici, vous entendez beaucoup le point de vue unioniste et très peu le point de vue indépendantiste, républicain. Et quand on vous parle d’indépendantisme, vous pensez à un truc élitiste, xénophobe, nationaliste, alors que nous sommes un vrai mouvement populaire républicain, qui traverse toute la société ; il ne vient pas d’en haut, la classe politique a été déplacée du devant de la scène. Nous ne sommes pas non plus guidés par des motivations économiques, comme on peut le lire ici ou là, ce n’est pas un mouvement de riches, pour ne pas payer les impôts. Pour nous, l’indépendance est la seule façon d’obtenir une démocratie stable et mûre. Et aujourd’hui, nous nous battons pour les droits que vous vous avez arrachés hier. Les Catalans sont des adultes et ils peuvent prendre leurs affaires en main.

L’ancien député indépendantiste de la CUP et politologue Quim Arrufat et le comédien Sergi López, mercredi soir à la Bourse du travail de Paris lors du débat "Ils sont fous, ces Catalans – Rêver d’une République".
L’ancien député indépendantiste de la CUP et politologue Quim Arrufat et le comédien Sergi López, mercredi soir à la Bourse du travail de Paris lors du débat « Ils sont fous, ces Catalans – Rêver d’une République ».
(JOAN MOREJON I BALTÀ)

Vous l’Européen, qui jouez en catalan, en espagnol, en français ou en anglais, êtes-vous déçu par l’attitude de l’Europe?
Ce qui se passe en Catalogne est crucial pour l’Europe. Nous posons la question de savoir comment un Etat européen peut répondre à un mouvement populaire autrement que par la répression. Nous soulevons le débat sur la démocratie en Europe ; la Catalogne, c’est plus une affaire de droits démocratiques que d’indépendance. C’est facile de dire que ce qui se passe chez nous, c’est un problème interne à l’Espagne, non, ça concerne toute l’Europe. Ce sont les piliers mêmes de la société européenne, ouverte et démocratique, qui sont menacés chez nous.

L’Etat espagnol avait tout mis en branle pour les empêcher de s’exprimer

Comment avez-vous personnellement vécu le référendum 1er octobre? 
Cela a été un truc énorme. Ni les organisations indépendantistes ni les associations comme l’ANC ou Omnium ne s’attendaient à pouvoir tenir le référendum ; elles avaient d’ailleurs demandé à la population de se rendre devant les bureaux de vote fermés, avec un bulletin, pour montrer à l’Europe qu’on nous empêchait de voter. Et au petit matin du 1er, les bureaux des écoles étaient tous ouverts, tenu par des citoyens, du maire de la ville au dernier employé d’école, ils étaient tous là! La preuve que nous ne sommes pas un mouvement minoritaire, de fous qui auraient perdu la tête. Et il nous a tous dépassés! Moi, j’étais dans mon village, à Vilanova i la Geltrú, et je suis allé défendre mon bureau de vote. Sans leaders, sans consignes, des milliers de gens, qui n’étaient pas militants, ont compris que l’Etat espagnol avait tout mis en branle pour les empêcher de s’exprimer. Ce vote est un acte de profonde démocratie, c’est la démocratie des gens de la rue. Et c’est l’attitude de l’Etat, le refus de toute discussion et négociation, qui a fait grandir la mobilisation pour l’indépendance. Ce 1er octobre a tissé des liens incroyables, surprenants.

Et aujourd’hui?
Aujourd’hui, en Catalogne, la liberté de la presse est malmenée (150 sites ont été fermés sans aucune procédure judiciaire), des écrivains sont menacés, le droit de se réunir, de manifester, de chanter sont en danger. Un rappeur a été condamné à trois ans et demi de prison ferme pour « apologie du terrorisme et injures graves à la couronne » à cause d’une chanson. Sans oublier les gens blessés le 1er octobre et ceux qui restent en prison ou en exil. A aucun moment l’Etat espagnol ne tente de calmer le jeu, il veut nous renvoyer des décennies en arrière.

Votre engagement ne date pas du référendum. Vous avez été candidat aux municipales dans votre village en 2011…
J’étais déjà indépendantiste quand nous étions à peine 10% de la population catalane à mener ce combat. J’ai toujours pensé que nous avions le droit de nous gouverner nous-mêmes et qu’il ne faut pas laisser le pouvoir dans les mains d’une minorité. Cela dépasse le fait souverainiste. J’ai alors rejoins les rangs de la CUP [Candidature d’unité populaire, coalition anticapitaliste indépendantiste] et je m’étais présenté aux municipales sur leur liste. En bout de liste, sûr de ne pas être élu!

Nous voulons changer cette démocratie espagnole qui est fondée sur une base qui n’est pas saine

La Catalogne est aujourd’hui dans l’impasse. Ni Puigdemont ni Jordi Sànchez, le président emprisonné de l’ANC que les partis indépendantistes veulent se présenter à l’investiture : Rajoy ne veut rien entendre…
C’est l’impasse du côté de la classe politique, engluée dans des tactiques de partis qui s’éloignent du sentiment populaire majoritaire. On ne sait plus où on va, mais ce qui est clair, c’est qu’en face on nous inflige une régression de quatre-vingts ans!

On n’entend plus la gauche dans le reste du pays s’inquiéter de ce qui se passe en Catalogne. Ni Podemos, très actif avant le 1er octobre pour dénoncer les pratiques de Madrid,  et encore moins le Parti socialiste, qui a soutenu l’application de l’article 155…
Nous, nous essayons, malgré tout, d’interpeller la gauche, de trouver des partenaires en Espagne et de leur faire passer le message que les idées que véhicule le mouvement indépendantiste, ce sont des idées républicaines qui les concernent tous. Nous voulons changer cette démocratie espagnole qui est fondée sur une base qui n’est pas saine. Franco, faut-il le rappeler, ce n’était pas un parti de droite mais un parti fasciste. Franco, c’était un pote de Hitler et de Mussolini. Un régime de terreur. Et lors de la transition, avec la peur du retour de cette terreur, les partis ont essayé de négocier plutôt que de « défranquiser » le pays. Cette démocratie s’est construite sur un pacte avec le crime. Les criminels qui étaient avec Franco n’ont jamais été jugés. Quand vous grattez dans les rangs du PP [Parti populaire, au pouvoir à Madrid], vous trouvez beaucoup de gens issus de familles très liées au franquisme. C’est le cas du lieutenant-colonel Diego Pérez Los Cobos, qui s’occupait de la sécurité le 1er octobre, proche conseiller militaire de Rajoy [il s’était présenté avec son uniforme de la Phalange dans sa caserne lors de la tentative du coup d’Etat du capitaine Tejero, en 1981] ; il a assumé le commandement des Mossos [la police catalane] après la destitution du lieutenant Trapero. Son frère, Francisco, préside le Tribunal constitutionnel. Voilà une famille historiquement liée au franquisme.

Vous n’avez pas peur de ne plus tourner en Espagne ou même en France?
Moi, je me sens privilégié. Je n’ai jamais caché mes idées. Je pense, mais je me trompe peut-être, que mon boulot ne dépend pas de ça. Mais ça peut me toucher aussi en Espagne, comme plein d’autres artistes. Il me restera toujours le théâtre! Si tu as une perruque, des lunettes, des boîtes en carton… tu sors dans la rue et tu joues du théâtre.

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