Article publié dans Libération le 15 octobre 2019
Après la condamnation à la prison de neuf leaders séparatistes lundi, nombre de leurs soutiens rallient Tsunami democràtic, un mouvement clandestin qui s’élève contre «la répression de l’Etat».
Ils se réclament du mouvement de désobéissance civile de Hongkong. Ils n’ont ni leader ni porte-parole, et les contacter relève de la partie de cache-cache. Ils sont partout et nulle part. A parcourir le centre de Barcelone lundi matin, au milieu des nuées de touristes, impossible de les reconnaître ou de les localiser. Ils disent pourtant avoir la puissance et l’envergure d’un tsunami. C’est d’ailleurs leur nom de baptême : Tsunami democràtic, un mouvement lancé en septembre. Leur importance ne cesse de croître, via leurs comptes Twitter et Instagram, ou bien à travers le service de messagerie cryptée Telegram, où ils comptent déjà plus de 275 000 abonnés.
Très présent sur les réseaux sociaux, Tsunami democràtic est un mouvement à vocation clandestine. Son existence est directement liée au verdict de la Cour suprême espagnole, rendu lundi, qui, après deux ans de procès, a condamné neuf responsables séparatistes à des peines de prison allant de neuf à treize ans pour «sédition» et «malversations de fonds». Ces sanctions répondent aux événements d’octobre 2017, lorsque le gouvernement indépendantiste régional avait organisé un référendum d’autodétermination illégal et déclaré symboliquement l’indépendance de la Catalogne.
Pour couper court à ce défi sécessionniste, le pouvoir central avait mis sous tutelle la région rebelle, et la Cour suprême avait envoyé en détention ceux qu’elle estimait être les instigateurs de cette «violation du cadre constitutionnel», à savoir les neuf dirigeants condamnés lundi. Sept autres suspects se sont «réfugiés» hors d’Espagne, à l’instar de l’ancien président de l’exécutif catalan, Carles Puigdemont, installé à Waterloo, en Belgique.
Colère
A lire les messages qui défilent sur leur compte Twitter, les membres de Tsunami democràtic promettent une réponse collective et déterminée à «la répression de l’Etat espagnol». «Nous sommes là pour donner une solution à la désorientation et à la frustration du peuple catalan» ; «Nous serons présents sur tous les fronts», peut-on lire par exemple. Ils disent être la voix des innombrables Catalans en colère face à la sévérité des condamnations et qualifient le verdict d’«attentat contre la démocratie».
Lundi soir, le mouvement avait réussi à couper des accès routiers dans le centre de la Catalogne et autour de Gérone, dans le nord-est de la région, et à provoquer le chaos à l’aéroport de Barcelone-El Prat (environ 120 vols annulés), où une manifestation avait débouché sur des altercations musclées avec les forces de l’ordre.
Conscient que la situation risque de dégénérer, le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, a annoncé l’envoi d’un millier de gardes civils supplémentaires pour prêter main-forte aux 2 000 agents antiémeutes déjà sur place et aux Mossos, la police autonome. Le même ministre a aussi admis que ses services de renseignement «travaillaient» afin de «démasquer les responsables de Tsunami democràtic», dont les agissements s’apparentent à ceux d’Anonymous, cybermouvement lancé en 2003.
«Persécutions»
Les membres du mouvement catalan rivalisent de prudence : celui qui souhaite participer ou suivre leurs actions doit, après téléchargement d’une application «privée et anonyme», être adoubé par un des membres. «C’est la seule façon d’échapper aux persécutions policières de l’Etat espagnol. Agir par surprise, de façon solidaire et en suivant les préceptes de la désobéissance active. Nous continuerons ces sabotages jusqu’à la résolution du conflit et l’amnistie pour les neuf condamnés», confie l’un d’eux via Twitter.
Non loin de la Sagrada Família, au siège de l’Assemblée nationale catalane (l’ANC, la principale organisation citoyenne qui, depuis 2012, convoque tous les rassemblements séparatistes), on se montre solidaire. «Heureusement que le Tsunami sait mobiliser», témoigne Vanessa, une infirmière de 42 ans, venue acheter un drapeau et des pin’s indépendantistes.
Au premier étage du bâtiment, Jordi Vilanova, membre du secrétariat de l’ANC, est encore sous le choc des «condamnations antidémocratiques» prononcées par la Cour suprême, d’autant que deux des condamnés sont d’anciens présidents de cette organisation civile. A l’instar de l’actuel président régional catalan, le sécessionniste Quim Torra, il applaudit la «résilience» du mouvement Tsunami democràtic : «Si nous-mêmes convoquions des marches de protestation, nous risquerions d’être aussi détenus par le pouvoir espagnol.» Anonymes, les militants de Tsunami ont toutefois trouvé une caisse de résonance publique en la personne de Josep Guardiola, l’ancien entraîneur du mythique FC Barcelone, aujourd’hui à Manchester.
Photo: Pau Barrena, AFP