Éditorial de Vicent Partal, Directeur du journal en ligne Vilaweb publié le 16 octobre 2019
« Ils veulent convertir la condamnation de la violence, surtout si elle est faite par le gouvernement [catalan], en un acte d’humiliation et de soumission à l’autorité espagnole »
La violence policière incontrôlée des Mossos d’Esquadra et de la police espagnole a soulevé un tollé politique que le gouvernement autonome semble mépriser, vu qu’il veut y mettre fin par une simple apparition du conseiller Buch [« ministre » de l’Intérieur de la Generalitat], sans aucune autocritique.
Je comprends qu’à cet égard, les sensibilités et les opinions diffèrent. Surtout en tenant compte de l’impact des images sur l’opinion publique internationale. Et bien, je crois que dans une société démocratique avancée, nous devrions toujours discuter avec sérieux et rigueur. Je ne parlerai pas des événements en particulier, car je me suis déjà exprimé clairement. Mais je pense que certaines réflexions qui posent le débat sont nécessaires et aident chacun à comprendre et, si possible, à éviter le harcèlement politique que l’Espagne entend jouer dans cette affaire.
Et pour cela, il est indispensable de comprendre que la violence dans les actes politiques est constante et habituelle dans tous les pays du monde. Et normalement personne n’est effrayé ni alarmé, si ce n’est pas intentionnellement et à des fins politiques.
Quelques exemples très récents. Les manifestations des gilets jaunes contre Macron qui durent depuis plus d’un an et ont eu pour conséquence le retrait de l’ensemble des mesures que le premier ministre voulait imposer. Il y a eu 11 morts, 4 190 blessés et près de 9 000 détenus, dont environ 400 sont encore en prison.
Les habitants de Hong Kong opposent une résistance très dure face au gouvernement chinois cela fait plus de deux cents jours et ont déjà obtenu le retrait de la loi controversée sur l’extradition. Il y a eu 8 morts et plus de 2 000 blessés. Près de 3 000 personnes ont été arrêtées.
Le mouvement indigène de l’Équateur a vaincu le président Lénine Moreno après une résistance de douze jours. Moreno a retiré les mesures d’austérité et a restitué les subventions qu’il avait bloquées. Il y a eu 8 morts, 1 300 blessés et 1 200 détenus. Les manifestants vont même retenir pendant des heures des douzaines de policiers.
Dans ces trois cas, il y a eu beaucoup plus de violence qu’en Catalogne. Je ne pense pas que quiconque puisse en discuter, sauf vouloir s’exposer au ridicule. Par conséquent, nous devons nous demander pourquoi nous devrions croire que des faits qui soulèvent la violence dans d’autres pays sans entraîner la moindre remise en cause de ces mouvements, voire même qu’ils suscitent de la sympathie, dans le cas catalan, et seulement dans ce cas, cette violence devrait susciter une réaction absolument différente. Cela n’a tout simplement aucune logique.
Suivant cette ligne, je propose deux réflexions simples.
La première est évidente: il n’y a des incidents que là où la police apparaît et quand la police apparaît. Sinon, il n’y a pas d’incidents. Significatif.
La seconde, vous pouvez y répondre vous même : quand vous avez vu des images de policiers en train d’agresser des personnes dans un pays, votre réaction a été de vous placer du côté de la police ? Ou plutôt vous êtes bien entendu en faveur des agressés, même si vous n’avez pas su ce qui s’est passé ? Répondre est très simple. Regardez cette vidéo d’Aljazeera, l’une des grandes chaînes de télévision mondiales. En la regardant, vous penchez pour qui ? Pour qui avez-vous de l’empathie ?
« Tout ce que nous obtenons, c’est la répression de l’Espagne. »
Les manifestations violentes se poursuivent à Barcelone deux jours après le jugement des neuf dirigeants séparatistes catalans. pic.twitter.com/aywnkqeF5R
– Al Jazeera English (@AJEnglish) 16 octobre 2019
Il est important d’analyser ce que les médias internationaux disent réellement, et non ce que dit la bulle médiatique espagnole et quel impact elle a. Parce que la polémique ne peut cacher que, pour le moment, tous les médias du monde parlent du processus d’indépendance de la Catalogne et font un lien entre les scènes vues avec la répression déclenchée pour réprimer une population indignée par les sentences que tout le monde, partout dans le monde, trouve disproportionnées. Ces scènes, ces images, ils les expliquent en partant des condamnations.
Le récit dans la majorité des cas qui parvient à l’opinion publique internationale, est que les Catalans ont éclaté d’indignation. Et que c’était une chose prévisible, étant donné l’action absolument irresponsable de la justice espagnole. La séquence historique est parfaitement en faveur de la Catalogne et elle s’explique toute seule. Et c’est pour cela qu’il est essentiel d’avoir maintenu une trajectoire pacifique pendant tant d’années. Les gens demandent ce qui a changé et la seule réponse possible est que la décision de la Cour suprême espagnole a été rendue publique lundi, ce qui a entraîné l’explosion du pays.
De là, je pense que la tentative de l’Espagne de marquer la révolte catalane avec le sceau de la violence ne devrait pas être acceptée par l’indépendantisme, parce que l’objectif de l’Espagne n’est pas de discréditer notre révolte dans le monde, ils savent déjà que cela ne se passera pas, mais plutôt de diviser le mouvement et maintenir le contrôle des partis politiques, en les tenant à l’écart de la rue. Et, en tout cas, nourrir une image que la plupart du public espagnol a pour le moment fait sienne, en particulier à cause du manque de pluralité des médias en Espagne.
Ce n’est pas à nous de donner des explications sur la violence de ces nuits, mais à ceux qui l’ont provoqué et initié. Ceux qui ont provoqué les violences de ces nuits et ceux qui ont déchaîné les violences qui depuis le 20 septembre 2017 se sont abattues sur la population catalane pendant deux années. Parce que tomber dans leur piège c’est déjà les récompenser. Parce qu’ils veulent convertir la condamnation de la violence, surtout si elle est le fait du gouvernement, en un acte d’humiliation et de soumission à l’autorité espagnole et parce qu’ils savent que vous ne pouvez pas devenir indépendant si vous restez mentalement esclave. Et nous amener à tous discuter de ce qu’ils veulent, et en leur donnant de la crédibilité, en nous plaçant dans le cadre mental qu’ils ont établi et au moment qui leur convient, est tout simplement contradictoire pour un mouvement politique un minimum sérieux, et d’autant plus pour celui prône la libération.
PS: beaucoup de choses se sont passées ce soir. Je souhaiterais dire seulement que je ne partage pas du tout l’idée que l’Espagne est contente et à l’aise avec cette violence. Je ne pense pas que cela soit la vérité et je pense que c’est une chanson qui doit être revue. Ce niveau d’indignation, s’il est maintenu, n’est pas soutenable pour l’Espagne. Ça ne l’est plus en Catalogne, et ça commence à ne pas l’être en Europe – qui regarde l’ensemble avec beaucoup de préoccupation et d’incrédulité – et même hier nous avons vu les premiers signes que pour une partie de la gauche espagnole la défense des droits de la Catalogne pourrait devenir la fissure qu’ils n’ont pas trouvée depuis le 15 mars.
Dans un autre sens, je considère très importante la proposition de trois points revendicatifs du mouvement indépendantiste qu’a faite en exil la conseillère Clara Ponsatí* [paix, amnistie et auto-détermination]. C’est pourquoi elle vous demande de les lire et de les faire circuler. Le débat en vaut la peine et je pense que les adopter comme une plate-forme commune serait le meilleur moyen de reconstituer l’unité.
*article en catalan
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