Entretien avec Elisenda Paluzie, présidente de l’ANC

Article publié sur le blog Le débat catalan. Il est composé de 4 chapitres: 1/ Trajectoire et engagement jusqu’à la présidence de l’ANC; 2/ Qu’est-ce que l’ANC ?; 3/ Les événements de l’automne 2017; 4/ La nouvelle donne politique

« Ce travail a très bien marché » (1, trajectoire et engagement jusqu’à la présidence de l’ANC) 

Dans cette première partie de l’entretien, Elisenda Paluzie revient sur l’évolution du mouvement indépendantiste depuis la fin des années 1980 ainsi que sur sa trajectoire de militante politique pour l’autodétermination qui l’a menée à la présidence de l’ANC.

 

LE DÉBAT CATALAN (Hervé Siou). Vous présidez l’ANC depuis mars dernier. Comment la professeure d’université que vous êtes est-elle arrivée à la tête de cette très importante organisation indépendantiste ?

Elisenda Paluzie. Je suis présidente de l’ANC depuis le 24 mars, il y a quatre mois. Je suis membre de l’ANC depuis quelques années mais je n’étais pas une membre particulièrement active dans l’organisation interne. J’avais beaucoup parcouru les assemblées territoriales (les assemblées locales de l’ANC dans chaque commune), mais surtout pour faire des conférences sur l’économie de l’indépendance et j’avais aussi participé à des débats sur le référendum d’autodétermination parce que j’étais une des personnes qui avait défendu publiquement qu’il ne fallait pas directement faire une déclaration d’indépendance mais passer d’abord par un référendum d’autodétermination[2]. J’étais donc assez connue des bases de l’ANC mais je n’avais jamais participé à la direction de l’Assemblée. Il se trouve que lorsque les élections ont été convoquées – l’ Assemblée renouvelle tous ses postes de direction tous les deux ans, avant c’était chaque année – plusieurs personnes m’ont demandé de me présenter comme présidente. Il s’agit d’une élection indirecte. Tous les membres de plein droit (nous sommes 43 000 actuellement) participent à des élections pour élire les 77 membres du Secrétariat National qui est la direction de l’Assemblée. C’est ce Secrétariat National qui élit les président, vice-président, trésorier et secrétaire de l’Assemblée. Souvent, dans ce genre d’élections indirectes, les gens se présentent au Secrétariat en disant aussi qu’ils aspirent à devenir président. Ce n’était pas mon cas. Aux gens qui me demandaient de postuler en tant que présidente, je répondais : « Non, je ne peux pas, l’Assemblée représente beaucoup de travail, ce n’est pas un poste rémunéré, c’est bénévole et il faut réduire son activité professionnelle ». Or, moi, je suis professeure titulaire à l’université et, ayant l’accréditation pour devenir professeure des universités, je me trouve en attente d’un poste qui se libère. C’était la raison principale pour laquelle j’avais dit non aux gens qui m’avaient demandé de postuler. Cependant, je me suis dit aussi que, n’étant plus doyenne de la faculté, j’aurais plus de temps et que je pouvais participer au Secrétariat National de l’Assemblée. Je me suis donc présentée comme membre du Secrétariat National et il se trouve que j’ai eu beaucoup plus de votes que les autres et que les trois candidats à la présidence ont obtenu des résultats très équilibrés. Aucun des trois ne se détachait des autres. De plus, la composition du Secrétariat était très partagée entre les deux grands secteurs qui, par le passé, avaient existé dans l’Assemblée. J’ai donc décidé qu’étant données ces circonstances, je devais assumer cette responsabilité. Je me suis donc présentée comme présidente et tous les autres candidats ont renoncé, ce qui m’a permis d’obtenir un vote très majoritaire du Secrétariat : il y avait 75 membres présents et 72 ont voté pour moi.

Vous avez évoqué votre militantisme indépendantiste avant cette élection, quand cela a-t-il commencé ?

J’ai toujours été engagée mais avec plus ou moins d’intensité. J’ai commencé mes études à la faculté d’économie de l’université de Barcelone, en 1988, en deuxième année (je devais avoir presque 19 ans), je suis devenue membre d’une association étudiante qui s’appelait la FNEC [NDLR : Federació Nacional d’Estudiants de Catalunya]. C’était en 1988. C’était une association qui, à l’époque, ressemblait un peu à l’ANC dans le sens où elle était vraiment transversale et regroupait toutes les dimensions du nationalisme catalan. La plupart des membres de l’association, on était environ 1500, ne militaient pas dans des partis politiques même si certains appartenaient aux mouvements de jeunesse de Convergència et Esquerra essentiellement. C’était un peu similaire à l’ANC car on luttait pour conserver notre indépendance vis-à-vis des mouvements de jeunesse des partis politiques qui tentaient de contrôler l’association (rires). Cette association avait dans ses statuts l’objectif de l’autodétermination en Catalogne. Nous considérions que nous faisions parti du mouvement de libération national catalan, une terminologie aujourd’hui un peu démodée. Moi j’étais dans la coordination nationale de cette association, j’en étais la trésorière. J’étais représentante des étudiants au conseil de gouvernement de l’université, au Claustre qui est comme le Sénat de l’université.

Après j’ai commencé mes études de doctorat, je suis partie à l’étranger, une année aux États-Unis, une autre année pour faire un mastère à Yale, une autre année à la LSE [NDLR : London School of Economics] à Londres où je faisais une partie de mes recherches de doctorat. Ce sont des années où j’ai diminué mon activité militante.

J’ai fait ma carrière académique et, en 2006, je me suis réengagée en tant qu’économiste lors des débats autour de la réforme du Statut d’autonomie. J’étais assez critique vis-à-vis des accords conclus par les partis politiques, entre Artur Mas et Zapatero à propos du Statut d’autonomie voté en référendum par la société catalane. À l’époque déjà, bien avant que ce Statut ne soit laminé par le Tribunal Constitutionnel, je considérais que c’était insuffisant et que cela ne changeait pas fondamentalement, d’un point de vue économique, les relations entre la Generalitat et l’État espagnol. J’ai alors créé un groupe qui s’appelait Economistes pel No(Économistes pour le non) où avec des centaines d’économistes, issus de l’université pour la plupart, nous déclarions que ce qui avait été accordé ne garantirait pas une réduction du déficit fiscal catalan.

Ce groupe d’Economistes pel No était proche d’Esquerra ?

Oui. À l’époque, je n’étais pas militante d’Esquerra mais toutes ces initiatives avaient lieu dans l’entourage d’Esquerra parce que c’était le parti politique qui avait critiqué l’accord Mas-Zapatero.

Après Economistes pel No, avec d’autres personnes de la société civile, nous avons créé une association qui s’appelait Sobirania i Progrés (Souveraineté et Progrès). Son président était un acteur, Joel Joan, mais il y avait aussi des avocats, des juristes comme Héctor López Bofill ou Antoni Abad Ninet qui est professeur de droit constitutionnel à l’université de Copenhague, Miquel Strubbel qui est sociolinguiste, Oriol Junqueras, qui est historien, Maria Mercè Roca, una écrivaine qui plus tard a été la conseillère municipale d’Esquerra à la mairie de Gérone. Cette association a commencé à faire des réunions sur tout le territoire catalan pour défendre un référendum d’autodétermination comme moyen démocratique pour aboutir à l’indépendance. On a commencé à divulguer des idées favorables à l’indépendance mais du point de vue de spécialistes. Chacun venait avec sa spécialité.

Avec une autre association de l’époque, la PDD (Plataforma pel Dret de Decidir), une plateforme, dont Sobirania i Progrès était membre, on a commencé à faire des blocs civils dans les manifestations du 11 septembre. En effet, les manifestations du 11 septembre, à l’époque, n’étaient pas aussi massives qu’elles l’ont été ensuite. Elles commençaient toujours à plaça Urquinaona et elles allaient jusqu’au Fussar ou à l’Arc de Triomphe et, habituellement, c’étaient les partis politiques qui les convoquaient. Il y avait le bloc d’Esquerra, le bloc de la gauche indépendantiste etc. Nous, on a commencé à faire un bloc civil indépendant des partis.

Ce bloc civil de la PDD se voulait aussi transversal…

Oui, on croyait que c’était une façon de rapprocher le mouvement indépendantiste des citoyens plus hésitants à aller derrière la bannière d’un parti politique concret. Avec Sobirania i Progrès, à part lors de chaque Diada, on a participé à la première manifestation qui a eu lieu à Bruxelles et qui s’appelait Deu mil a Brussel.les per l’autodeterminació (Dix mille à Bruxelles pour l’autodétermination). C’était en mars 2009. Après cette manifestation, il y a eu une tentative pour porter au Parlement catalan la revendication d’un référendum d’autodétermination à travers une ILP, une initiative législative populaire.

On a alors commencé à rassembler des signatures. Mais ce qui s’est passé, c’est qu’un conseiller municipal de la CUP, Josep Manel Ximenis, a proposé une motion de soutien à cette ILP au conseil municipal de la mairie d’Arenys de Munt et qu’il y a ajouté une chose : à Arenys de Munt, on ferait une consultation sur l’indépendance de la Catalogne en reprenant la question posée dans l’ILP. Le Parlement catalan, par ailleurs, avait rejeté l’ILP et n’avait même pas voulu que l’on initie le processus de récolte de signatures.

Le 13 septembre, la consultation d’Arenys de Munt aurait pu passer inaperçue mais ce qui l’a rendu très populaire, c’est la réaction de l’État espagnol. L’avocat de l’État espagnol a essayé d’empêcher que cette consultation ait lieu, il a interdit qu’elle se produise dans les bâtiments de la municipalité et, en même temps, la Phalange espagnole, le parti fasciste de la dictature franquiste qui est toujours légal en Espagne, a convoqué une manifestation à Arenys de Munt contre la célébration de cette consultation. Finalement, la consultation a eu lieu. Ça a été une journée de mobilisation populaire et surtout, la première visibilisation que l’accès à l’indépendance par le biais d’un référendum dans lequel les citoyens décident, était quelque chose de possible. Nous avons pu rendre visible ce concept un peu théorique de l’autodétermination. Tous les débats théoriques ont été mis sur la table d’une façon très visuelle. À partir de là, une coordination nationale s’est créée avec plein de municipalités qui voulaient faire la même chose qu’Arenys de Munt.

Sobirania i Progrés participait à cette coordination des référendums municipaux ?

Oui, Sobirania i Progrés assurait la logistique. On était une petite association mais on avait un peu d’argent parce qu’à l’époque on avait des subventions. On avait deux personnes qui travaillaient pour nous dont une à plein temps pour assurer la logistique, c’est-à-dire l’achat du matériel, le design, le site web. Tout cela facilitait le travail non pas des municipalités mais des gens qui se réunissaient dans les municipalités afin d’y organiser une consultation.

Dans cette coordination nationale, il y avait une personne qui s’occupait de l’international et de la presse, c’était Anna Arqué. Uriel Bertran, à l’époque député critique d’Esquerra s’occupait des campagnes. Josep Manel Ximenis, qui avait été l’impulseur du premier référendum à Arenys de Munt, s’occupait de la formation des volontaires. C’était une coordination assez souple. J’y aidais à la commission internationale, lorsqu’il y avait des observateurs internationaux qui venaient pour les référendums. J’aidais un peu pour les contacts de presse internationale, notamment la presse française parce que je parle français. La coordination s’est créée très rapidement après le vote d’Arenys de Munt du 13 septembre 2009 puisque nous nous sommes réunis dès la semaine suivante au CIEMEN [NDLR : Centre Internacional Escarré per a les Minories Ètniques i les Nacions] et que nous avons commencé à l’organiser avec les membres des associations indépendantistes : l’objectif essentiel était que chaque village ne vote pas dans son coin, que cela se fasse par vague et donne la sensation d’un référendum. Pour cela, il fallait que la question soit la même et que plein de municipalités votent le même jour. Ainsi, après Arenys de Munt, il y a eu la grande vague du 13 décembre 2009 où environ 200 municipalités ont voté. La vague a été plus petite le 28 février avec environ 80 municipalités. Après il y a eu celle du 25 avril, la plus grosse, puis celle du 20 juin, plus réduite, mais où on a voté dans la banlieue de Barcelone ; à Cornellà, par exemple, où le taux de participation a été de 10 %. Évidemment, ces référendums avaient commencé dans les municipalités les plus favorables à l’indépendance avec une participation de presque 40 % lors de la première vague. La participation a baissé ensuite, au fur et à mesure qu’on votait dans des villes plus grandes et moins favorables à l’indépendance. À Cornellà, même s’il n’y a eu que 10 % de participation, cela a mobilisé beaucoup de gens et ils ont fait du beau travail pour diffuser cette idée dans les quartiers les plus difficiles. Je pense que ça a été important. Après, on s’est reposé un peu parce qu’il manquait Barcelone. Pour la capitale, c’était compliqué car il fallait une logistique plus lourde et on faisait cela avec les moyens du bord et le soutien relatif des partis politiques. Le dernier référendum a donc été celui du 10 avril 2011 à Barcelone et il n’a pas fait baisser la moyenne de participation. Au total, la moyenne finale de participation a été de 21% (mais il faut dire que c’était un corps électoral augmenté puisqu’on avait donné le droit de vote aux étrangers) et le oui à l’indépendance avoisinait les 90%.

Entre le vote à Arenys de Munt en septembre 2009 et celui à Barcelone en avril 2011, il y a 2010 et la fameuse censure de l’Estatut. Dans cette coordination des référendums locaux, vous aviez anticipé la sentence du Tribunal Constitutionnel ?

C’était quelque chose qui était déjà dans l’ambiance. On attendait, c’était une attente tendue. Les associations faisaient de petites réunions : on critiquait un peu la réaction officielle, on disait qu’il fallait réagir en défendant le droit d’autodétermination de façon claire et explicite. On a été les plus radicaux. Mais la réponse à la sentence a été gérée par les partis politiques et Òmnium cultural. Lors de la manifestation convoquée par Òmnium le 10 juillet 2010 contre la sentence du Tribunal Constitutionnel, le slogan a été Som una nació. Nosaltres decidim (Nous sommes une nation, c’est nous qui décidons). Nous, nous aurions voulu être plus explicites sur le droit à l’autodétermination. On n’a pas participé à l’organisation de la manifestation mais elle est devenue une manifestation indépendantiste du fait des nombreux référendums populaires que nous avions organisés jusque-là. C’est là que je me suis rendu compte que des plateformes s’étaient organisées dans les municipalités qui avaient participé aux consultations populaires. À Cardona, par exemple, il y avait la plateforme Cardona decideix(Cardona décide) et il y avait aussi Girona decideix ; Olot decideix,Banyoles decideix etc. Avant la sentence du Tribunal Constitutionnel du 9 juillet 2010, 555 des 944 municipalités qui existent en Catalogne avaient déjà voté. Ces plateformes locales avaient organisé des bus pour aller à la manifestation du 10 juillet et venaient avec leurs bannières. C’est ainsi que la manifestation est devenue indépendantiste, alors que ses organisateurs l’avaient d’abord convoquée pour protester contre la décision du Tribunal Constitutionnel et ne demandaient pas le droit à l’autodétermination.

À propos de cette manifestation du 10 juillet, on débat encore sur son rôle dans le renforcement du mouvement indépendantiste : était-elle indépendantiste dans ses revendications et qui la contrôlait, la base ou d’abord les partis ?

Non, ce n’était pas une manifestation venue d’en bas comme la Diada de 2012. Pour la manifestation de 2010, tout avait été négocié avec les partis. Tous les partis, y compris les socialistes (c’était encore l’époque du Tripartit) avaient décidé que ce serait Òmniumqui convoquerait la manifestation. Cela aurait pu être la PDD puisqu’elle avait déjà organisée de grandes manifestations en 2006 à Bruxelles et en 2007 notamment autour de la question des des infrastructures mais elle avait perdu un peu le contrôle. Et puis, à la PDD, il y avait eu de gros conflits internes sur l’influence des partis, raison pour laquelle les partis avaient décidé que ce serait Òmniumqui convoquerait la manifestation si le Tribunal Constitutionnel censurait l’Estatut. Et cela avait été décidé déjà un an avant parce que depuis le référendum de 2006, jusqu’à 2010, 4 ans avaient passé.

Mais ce qui s’est passé, c’est que les gens sont allés à la manifestation en criant « Indépendance ». Les bannières que portaient les gens, de façon spontanée et naturelle, étaient pour l’indépendance. Donc, dans ce sens, c’est devenu une manifestation indépendantiste même si ceux qui la convoquaient n’avaient pas cet objectif.

Que se passe-t-il après cette manifestation de juillet 2010 ?

En novembre 2010, il y a des élections au Parlement catalan où certains organisateurs des consultations populaires présentent un nouveau parti, Solidaritat catalana per la independència. ERC connaît alors une grande crise à cause des accords sur le financement de 2009 et au vote de la nouvelle LOFCA [NDLR : Llei Orgànica de Finançament de les Comunitats Autònomes], le système que l’on a à l’heure actuelle.

Donc qu’est-ce qui se passe en 2010 ? Il y a ce mouvement de base issu des consultations populaires qui a commencé à modifier le souverainisme catalan mais cela ne se reflète pas tout de suite dans les résultats électoraux parce que les gens pensaient que l’urgence c’était d’en finir avec les socialistes à la tête du gouvernement catalan. Aux élections, il y a donc une chute d’ERC qui passe de 21 à 10 députés et Artur Mas gagne finalement les élections, sans majorité absolue mais avec une majorité relative assez ample. Le nouveau parti Solidaritat catalana per la Independència, qui défend une voie populaire unilatérale vers l’indépendance avec Joan Laporta à la tête, n’obtient que 4 députés.

C’est en réaction à ce résultat décevant du souverainisme dans les urnes que se crée l’ANC ?

Oui, la déception face au résultat mais aussi face à la sentence du TC. Ce qui se passe, c’est que le mouvement est relancé par le vote de Barcelona decideix, le 10 avril 2011, dernière étape du mouvement des consultations populaires municipales sur l’indépendance de la Catalogne. C’est un nouvel élan car, après les élections au Parlement catalan, on a eu pendant quelques mois l’impression de nous endormir un peu : c’était comme si on revenait à l’époque de Pujol mais avec Mas à la tête de la Generalitat et cette idée du gouvernement des meilleurs, du gouvernement pro-business. C’est l’époque où Mas est un bon élève des coupes budgétaires imposées par Bruxelles. Il disat qu’il faut de l’austérité, qu’il y avait une dette énorme, que le Tripartit avait trop dépensé. Tout ce qui s’était passé du côté indépendantiste semblait oublié et il y avait seulement ce petit parti, Solidaritat catalana per la Independència, qui était là et qui disait qu’il fallait déclarer l’indépendance, que l’Espagne nous volait, qui parlait du déficit fiscal, des coupes dans les dépenses sociales qui étaient le résultat du déséquilibre dans les relations avec le gouvernement espagnol, etc.

Le vote de Barcelona decideix a donc donné un nouvel élan. De plus, en parallèle, un autre groupe, qui n’avait pas été le fer de lance des consultations populaires mais l’avait observé avec intérêt, commençait à se réunir. Ce petit groupe disait qu’il fallait créer un grand mouvement transversal pour l’indépendance. À l’époque, il s’appelait MxI (Moviment per la Independència), il y avait Pere Pugès, Miquel Strubbel qui était de Sobirania i Progrés, Miquel Sellarès et Enric Aisna. C’était un groupe de quatre personnes qui croyaient qu’il fallait créer un mouvement unitaire.

Vous participiez au Moviment per la Independència ?

Je faisais partie des quarante personnes que ce groupe de quatre personnes avait contacté mais je n’ai pas vraiment participé. J’étais dans leur liste. Ils faisaient des débats, des réunions, d’abord sur internet, par mail, avec des codes pour que personne ne sache qui étaient les autres membres. J’ai été invitée à participer mais je ne l’ai pas fait activement parce que j’avais beaucoup de travail à la fac et que je pensais qu’il était plus utile de consacrer mon temps libre à l’organisation des référendums populaires, qui étaient des choses concrètes. J’étais donc un peu sceptique sur ce groupe : créer quelque chose d’énorme, avec tous les nationalistes… Il y aurait des discussions à n’en plus finir et je ne voulais pas dépenser mon énergie à des discussions internes. Donc je disais : « Oui, vous pouvez utiliser mon nom » mais je ne participais pas activement. Mais, eux, de leur côté, avaient commencé à travailler et réunissaient chaque fois plus de gens et juste après Barcelona decideix, ils ont organisé une grande conférence, la Conferència per l’Estat propi au Palais des Congrès de Barcelone. Avec environ 2000 personnes. Ils étaient allés de municipalité en municipalité pour parler avec des gens qui avaient organisé les référendums populaires car beaucoup de ces plateformes locales, de leur propre chef, avaient décidé de ne pas se dissoudre mais de se transformer. Par exemple Cardona decideix s’était transformée en Cardona per la Independència. Cet embryon d’ANC, tout au long de l’année 2011 et durant les premiers mois de l’année 2012, a travaillé au rassemblement de tous. C’est ainsi que les associations issues des référendums populaires se sont intégrées en tant que sections territoriales de l’ANC même s’il n’y a pas toujours eu de continuité exacte. Dans certaines sections, c’était les mêmes personnes qui avaient organisé les référendums et qui avaient créé des sections de l’ANC mais ailleurs ce n’était pas le cas, c’était des gens nouveaux et il y avait eu renouvellement. Il y a eu parfois une différence d’âge : les jeunes qui avaient participé aux référendums dans leur municipalité se sont moins investis au moment de la création des sections locales de l’ANC par exemple.

En tous les cas, l’ANC a fait ce travail de déploiement territorial et il a alors été décidé qu’il y aurait une grosse manifestation pour l’indépendance le 11 septembre avec plus d’un million de personnes dans les rues de Barcelone. Alors qu’à l’époque, les manifestations du 11 septembre regroupaient normalement de 10 000 à 30 000 ou 40 000 personnes au grand maximum.

C’est donc l’ANC qui organise cette première grande manifestation indépendantiste de 2012.

Exact. Mais tout le monde était un peu sceptique : qu’est ce qu’ils disaient ces fous-là, un million de personne dans les rues de Barcelone le 11 septembre ? Ils fixent des objectifs beaucoup trop ambitieux ! Mais ce travail de déploiement territorial a très bien marché et des bus sont venus de toute la Catalogne. Il y avait eu la crise économique, la décision du Tribunal Constitutionnel et tout cela pesait lourd et les gens ont répondu à l’appel. Le succès de l’énorme manifestation du 11 septembre 2012 a donc été une énorme surprise.

 

[1] Réalisé par Hervé Siou le vendredi 27 juillet 2018 dans le bureau d’Elisenda Paluzie à l’Université de Barcelone, l’entretien a eu lieu en français et a duré environ trois heures, raison pour laquelle nous le publions en quatre parties. La transcription a fait l’objet d’un lissage du texte et de quelques réorganisations afin de rendre la lecture plus dynamique et ce, sans jamais affecter le fond des propos.

[2] Ce débat a agité l’indépendantisme suite à l’élection de Puigdemont à la présidence de la Generalitat. Le programme électoral de Junts pel Sí prévoyait un référendum pour valider une Constitution catalane dans une République qui aurait déjà été déclarée depuis le Parlement. Ce n’est finalement pas cela qui a eu lieu puisqu’un référendum d’autodétermination a été organisé le 1 octobre 2017.

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